• Bonjour, chers lecteurs,

    Merci d'avoir choisi "La minute de trop" en dépit de son esthétique approximative. On a beau dire que ce qui compte, c'est le fond, personne n'y croit vraiment. En fait, ce qui compte, c'est la beauté intérieure. Mais la beauté quand même.

    Vous avez été nombreux, ces jours-ci, à visiter ce blog. Ainsi, je me suis trouvée victime d'un succès aussi brutal qu'inespéré. C'est pourquoi j'ai décidé de vous soigner davantage : j'ai l'esprit commerçant.

    Ce post sera donc le dernier sur ce vilain blog tout de guingois. A l'instar de Michèle Alliot-Marie, je suis venue vous dire que je m'en vais....

    ....mais à l'instar d'Alain Jupé, je suis aussi venue vous dire que je reviens...et que je ne suis pas contente ! Je vous donne donc rendez-vous dans l'arène, où nous débattrons à main nue. Mon nouveau blog, l'arène nue, est à votre dispsition. Vous y serez reçus dans l'ambiance douce et contonneuse d'une atosphère typiquement féminine (j'ai choisi un papier peint rose avec des petits oiseaux).

    Allez, trêve de bavardages, descendons dans l'arène : http://l-arene-nue.blogspot.com/

    Votre obligée, Coralie Delaume


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    Voici bientôt deux mois, le jeune Mohamed El-Bouazizi décédait l’hôpital de Ben Arous, et la Tunisie s’embrasait, entraînant à sa suite nombre de pays arabes.

    Il y a bientôt un mois, un étrange débat était lancé en France par radios et journaux, qui visait à percer le mystère du silence pudique, face aux révoltes arabes, de nos intellectuels mainstream habituellement si prompts à s’enthousiasmer sans raison ou à condamner sans appel. Ce silence, en effet, s’avérait fort gênant. Sans commentateur à commenter, sans intellectuel médiatique pour se tromper et alors que l’on n’avait pas encore pris la pleine mesure indignatoire de « l’incurie de la diplomatie française », la presse nationale demeurait condamnée à rendre compte des seuls évènements d’outre-Méditerranée, et se voyait déjà privée de toute motif valable d’hallali hexagonal.

     

    ***

     

    L’année 1991 reste gravée dans les mémoires pour avoir vu chuter l’Union soviétique. Elle a aussi garanti un énorme succès de librairie au sociologue américain Francis Fukuyama, qui, profitant que Marx semblait bel et bien devenu  has been, ressuscita le vieil Hegel en publiant un petit traité de phénoménologie de l’esprit à l’usage du grand public intitulé « La fin de l’histoire et le dernier homme »[1]. Le 11 septembre 2001 reste lui aussi gravé dans les mémoires, et probablement dans celle de Samuel Huntington plus que dans toute autre. En effet, les attentats contre le World Trade Center devaient garantir à ce sociologue une immense renommée, en confortant ses thèses relatives au « Choc des civilisations ». Ces deux ouvrages, présentés comme le Yin et le Yang de la pensée politique d’Outre-atlantique et qui ont suscité plus d’anathèmes stériles à l’endroit des sciences sociales américaines et de leur caractère prétendument binaire que de critiques véritablement argumentées, ont au moins un point en commun : leurs titres sonnent comme des slogans publicitaires et résument la complexité du monde en une phrase. Francis Fukuyama et Samuel Huntington ont un avis, et un avis tranché : on respire.

     

    Le début de 2011, de la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali à la chute d’Hosni Moubarak puis aux mouvements de révolte en Libye, au Yémen ou à Bahreïn, restera gravé dans les mémoires comme le printemps des peuples arabes. Sera-t-il également considéré comme l’automne des intellectuels français ?

     

    Dans son édition du 6 février, le journal de référence de la France qui se lève tard et autres amoureux de l’actualité postprandiale publiait un article intitulé « A Paris, l’intelligentsia du silence ». Ayant pris le parti délibéré de solliciter des intellectuels dont l’étude des régimes autoritaires arabes n’est pas forcément la spécialité puis leur ayant reproché par anticipation leur discrétion, voire leur ignorance des évènements qui se déroulaient en au Maghreb et au Machrek, Le Monde parvenait toutefois à recueillir le sentiment d’une douzaine de clercs de toutes obédiences. C’est d’ailleurs avec un certain amusement mâtiné de surprise que l’on put constater, au détour de ce texte, de menus points d’accord entre Alain Finkielkraut et Régis Debray. On espère en avoir le fin mot lors du débat « solennel » à Normal Sup proposé récemment par le premier au second, autour des thèses développées par ce dernier dans sa lettre A un ami israélien.

     

    Le lendemain 7 février, c’était au tour de l’Express de s’interroger sur « la révolte arabe et les intellectuels français », et de pointer du doigt la timidité des sachant hexagonaux. L’hebdomadaire convoquait à cette fin un panel représentatif de spécialistes multicartes dont le cœur du métier consiste habituellement à écumer les plateaux de télévision en assénant des avis péremptoires et en gratifiant de regards suspicieux à tendance scandalisée tout interlocuteur qui ne les partagerait pas. Il est vrai que l’on est assez peu habitué à la prudence chez le  philosophiste  Bernard Henry-Lévy, à la mesure chez le  fascistologue Daniel Lienberg, ou à la perplexité chez la  laïcothérapeute Caroline Fourest. 

     

    On peut toutefois s’interroger sur le bien fondé de la démarche choisie par Le Monde comme par l’Express, qui consiste à interroger des « intellectuels généralistes », puis à s’étonner de leur difficulté à offrir une opinion simple, globale et définitive sur une cascade d’évènements d’une complexité extrême, et dont la prétention à prévoir l’issue relèverait plus de la cartomancie que de la science. Cette démarche est d’autant plus étonnante dans un monde où l’expertocratie et l’hyperspécialisation triomphent partout et où le réalisme froid des technocrates semble s’être substitué à l’idée même de sens de l’histoire ou de vision politique. Il faut que nous soyons allés fort loin dans la fin des idéologies pour exiger aujourd’hui de moralistes télévisuels qu’ils nous vendent du rêve à tout prix en nous contant l’histoire de la démocratisation inexorable, de la maturité des sociétés du Sud et des peuples en marche. 

     

    L’idée même d’intellectuel « généraliste » ne va pas sans poser problème, face à un évènement inédit et d’envergure majeure. Sommer nos clercs de le décortiquer « à chaud » c’est oublier que La pensée complexe chère à Edgar Morin ne va pas de soi dans les sciences sociales. Inévitablement, le politologue, l’historien, le sociologue tronçonnent le réel, le compartimentent, le simplifient à l’excès. Ils proposent une grille de lecture éminemment partielle, qui, sans nécessairement générer de l’erreur, ne constitue qu’un prisme parmi bien d’autres possibles. La vérité d’un phénomène géopolitique se situe au croisement de mille angles de vue, et ne s’appréhende qu’au terme d’un long processus d’analyse.

     

    On peut certes trouver, au détour d’une lecture, un facteur explicatif parcellaire mais génial. Par exemple, on peut considérer que les peuples arabes, en écrivant une page de La raison dans l’histoire, donnent raison à…Emmanuel Todd. Cet observateur de longue date du monde arabo-musulman pronostiquait déjà en 2002 les convulsions qui secoueraient le Moyen-Orient avant son entrée dans une modernité supposée garantie par les progrès conjoints du contrôle des naissances et de l’alphabétisation. Dans Après l’Empire[2], le démographe écrivait :« de nombreux pays musulmans sont en train d’effectuer le grand passage. Ils quittent la routine mentale paisible d’un monde analphabète et marchent vers cet autre monde défini par l’alphabétisation universelle. Entre les deux, il y a les souffrances, et les troubles du déracinement ». En somme, si l’on suit Emmanuel Todd, la révolution dite « du Jasmin », celle « du Papyrus », et toutes celles dont on attend l’issue avant de les affubler d’un sobriquet écolo-compatible, ne seraient que les inévitables et ultimes convulsions qui accompagnent l’avènement prévisible et définitif de la démocratie. Cette foudroyance de Todd apporte un éclairage judicieux sur les révolutions arabes. Mais l’on en saisit bien vite le caractère monocausal et restrictif, tant il est vrai que l’exégèse des pyramides des âges ne peut constituer une explication suffisante. En Chine, la politique de l’enfant unique a favorisé la transition démographique. Pour autant, on imagine mal ce pays aborder une révolution aujourd’hui.

     

    Outre les sciences politiques il est une autre discipline que l’on appelle volontiers à la rescousse : l’Histoire. Afin d’essayer d’appréhender les révoltes arabes, on peut en effet opter le postulat assez répandu selon lequel l’histoire bégaie. On chausse alors les lunettes du passé pour déchiffrer le présent. Ainsi les optimistes n’ont-il de cesse de lister les ressemblances entre les heurts Proche-orientaux et l’explosion de l’Union soviétique. Il faut pourtant une aptitude rare à l’onirisme pour voir en Mohamed El Baradeï un nouveau Vaclav Havel, ou pour exciper d’une quelconque gémellité entre la confrérie des Frères Musulmans et le syndicat Solidarnosc. Par ailleurs Radio Free Europe n’était pas Al Jazeera, et l’on twittait fort peu derrière le rideau de fer. Quant à la Perestroïka façon Kadhafi, elle peine à convaincre. Les pessimistes pour leur part devinent l’ombre de l’Iran des mollahs planant lourdement sur les mouvements arabes. Ils s’attendent à chaque instant à voir le spectre de l’ayatollah Khomeiny fondre sur Manama et déclamer un prêche rageur aux chiites Bahreïnis.  Enfin, les iréniques à l’ascendance prudente envisagent la possibilité d’une évolution de style « islamiste modéré » à la turque et ne savent s’ils doivent se désoler pour l’islamisme ou se réjouir pour la modération. Hélas, comparaison n’est pas raison. Et si la connaissance du passé éclaire le présent, elle ne permet pas encore de lire dans l’avenir.

     

    ***

     

    Ainsi, face à l’enchaînement spectaculaire des révolutions arabes, les intellectuels médiacrates demeurent prudents. On ne saurait leur tenir rigueur de nous épargner les déclarations à l’emporte-pièce. Ce silence pudique vaut bien, pour une fois, qu’on les appelle des sages. Il faudra du temps pour tirer les premiers bilans du processus à l’œuvre au Moyen-Orient, et pour l’envisager sous toutes ses facettes : géopolitique, sociologique, économique, historique….En attendant, pour les amateurs de joies simples et de colère facile, il demeure possible de se repaître des apparitions télévisées de Mouammar El-Kadhafi. L’analyse est à la portée de tous : à l’évidence, ce type est un salaud !

     

    Coralie Delaume



    [1] En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les néoconservateurs américains qui ont inventé le concept de « fin de l’histoire », que l’on doit à Georg W. F. HEGEL, et non à George W. BUSH.

    [2] Emmanuel TODD, Après l’Empire : Essai sur la décomposition du système américain, Gallimard, 2002.


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    Dans son édition des dimanche 6 et lundi 7 février, le journal de référence de la France qui se lève tard et autres amoureux de l’actualité postprandiale publie un article intitulé « l’intelligentsia du silence ». Ayant pris le parti délibéré d’interroger des intellectuels dont l’étude des régimes autoritaires arabes n’est pas forcément la spécialité puis leur ayant reproché par anticipation leur discrétion, voire leur ignorance des évènements qui se déroulent en Tunisie et en Egypte, Le Monde parvient toutefois à recueillir le sentiment d’une douzaine de clercs de toutes obédiences. C’est d’ailleurs non sans déplaisir que l’on pourra constater, au détour de l’article de Thomas Wieder, quelques points d’accord entre Alain Finkielkraut et Régis Debray quant à l’admiration que peuvent inspirer les deux révoltes arabes, mais également quant à la vigilance qu’il convient d’adopter face aux évènements d’Egypte et à leurs conséquences probables pour l’Etat d’Israël.

     

    L’un pourtant de ces « intellectuels généralistes » convoqués par Le Monde pour se prononcer sur la possibilité d’une démocratie arabe manque pourtant à l’appel. D’Emmanuel Todd, on se souvient qu’il annonça, dès le milieu des années 1970, la décomposition inévitable du système soviétique et sa « chute finale ». D’aucuns se souviennent peut-être également qu’il eut la prophétie moins heureuse lorsque, évoquant la monnaie unique peu avant qu’elle n’advienne, il augurait : « l’Euro ne se fera jamais ». A moins qu’il ne se soit agi là d’un raccourci discursif et que le démographe n’eut voulu dire « l’Euro se fera, mais rapidement il se défera ». Si tel est le cas, il est possible que nous ayons à célébrer bientôt la clairvoyance de son raisonnement, dont on espère que la confirmation se fera attendre moins longtemps que les prémices de « la décomposition du système américain ».

     

    Observateur de longue date du monde arabo-musulman, l’exégète des pyramides des âges était l’invité, lundi 1er février, de l’émission Ce soir ou jamais. Il a eu l’occasion d’y expliciter ce qu’il écrivait il y a bientôt une décennie dans Après l’empire : le monde arabe entre inexorablement dans l’ère de la modernité démographique et culturelle et nous donne à voir aujourd’hui les symptômes de sa crise de transition. Ainsi, souligner la sidération des intellectuels français face aux évènements qui secouent le Maghreb et le Machrek, c’est oublier que Todd écrivait dès 2002 que « de nombreux pays musulmans sont en train d’effectuer le grand passage. Ils quittent la routine mentale paisible d’un monde analphabète et marchent vers cet autre monde défini par l’alphabétisation universelle. Entre les deux, il y a les souffrances, et les troubles du déracinement ». En somme, pour Emmanuel Todd, la révolution dite « du Jasmin » et celle dont on attend l’issue avant de l’affubler d’une couleur ou d’un parfum seraient les inévitables et ultimes convulsions qui accompagnent l’entrée définitive dans la modernité.

     

    Naïvement irénique, Emmanuel Todd ? En ce qui concerne la Tunisie, probablement pas. En plus de son taux d’alphabétisation record, ce pays remplit également l’autre condition posée par le politologue comme préalable nécessaire à l’advenue de la démocratie : avec un taux de fécondité d’environ deux enfants par femmes, la Tunisie se rapproche davantage de la France que de nombre d’autres pays du continent africain. Dans Après l’Empire, c’est d’ailleurs à l’influence française que Todd attribue la transition démographique rapide des pays arabes d’Afrique du Nord : « dans l’ensemble, le Maghreb colonisé par la France a progressé plus vite que le Proche-Orient ». De là à relancer le débat sur les effets positifs de la colonisation…

     

    En tout état de cause, on peut être moins optimiste en ce qui concerne l’évolution de l’Egypte. La transformation démographique n’y a pas vraiment eu lieu, non plus que la mutation culturelle. Les classes moyennes modernes et libérales y ont un poids moindre qu’en Tunisie, si bien que la « rue égyptienne » peine à se donner un leader. Surtout, depuis leur création en 1928 par Hassan Al-Banna[1], les Frères musulmans, ces cousins du Hamas palestinien, y ont tissé patiemment leur toile et disposent de relais dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle. Quant à leur mot d’ordre « le Coran est notre constitution », il ne laisse guère place au doute quant à la teneur de leur programme politique. Aussi de nombreux observateurs voient-ils dans les évènements de la place Tahrir le second acte de ce qui se joua en 1979 en Iran, où, s’appuyant sur une révolte populaire visant à chasser un autocrate allié de l’Occident, les mollahs instaurèrent une théocratie sans concession.

     

    Faut-il craindre que l’histoire bégaie ? Ou faut-il pousser la porte du monde merveilleux de la revue Prochoix, et espérer avec Caroline Fourest : « avec les Frères Musulmans, ce serait bien pire (…) mais au moins l’opposition égyptienne laïque pourrait s’organiser pour résister ». Faut-il croire à une révolution égyptienne au nom fleuri, ou redouter une fin à l’iranienne ? La solution à cette énigme se trouve sans doute à l’intersection d’une multitude de possibilités. Quoiqu’il en soit, et s’il ne parvient pas mieux que les autres à résoudre le problème, l’on peut au moins rendre hommage à Emmanuel Todd pour en avoir depuis longtemps posé l’énoncé. Nous aurions été moins stupéfaits si nous l’avions mieux écouté.

     

    Coralie Delaume



    [1] Hassan al-Banna est le grand-père de l’islamiste suisse « chic et charme » Tariq Ramadan.


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    « Ne croyez pas ceux qui proposent que nous sortions de l'Euro. L’isolement de la France serait une folie ». C’est par une mise en garde que le président Sarkozy a choisi de débuter l’année nouvelle, au soir du 31 décembre 2010, quelques heures à peine avant les libations dans lesquelles nous allions bouter hors de nos mémoires cette décennie post-bug qui vit à la fois naître la monnaie unique, et mourir la démocratie dans un hold-up pseudo-référendaire aboutissant au rejet du projet de constitution européenne et à l’adoption subséquente de son double, le traité de Lisbonne.

                            

    Pourquoi le Président français a-t-il pris la peine de s’attarder sur les propositions des eurosceptiques, ces « nonistes » anachroniques dont on balaye habituellement les arguments d’un geste auguste et supranational, les renvoyant à leur Mélancolie française et à leur nostalgie suspecte pour les attributs éculés de la souveraineté ? Nicolas Sarkozy accorde-t-il un réel crédit à ce sondage IFOP de novembre 2010, dans lequel 35% des français se déclaraient favorable à un retour au Franc ? Craint-il que soient devenus audibles ceux qui, d’un Front à l’autre, du « degauche »  au « national », ont inscrit sans ambiguïté la sortie de l’Euro au frontispice de leur édifice programmatique ?

     

    En effet, si divers et émiettés soient-ils, les thuriféraires d’un retour à la monnaie nationale couvrent désormais tout le spectre du jeu politique. A droite, Marine le Pen, dont la récente passion pour l’économie confine au zèle du converti, considère que « le vrai problème, c’est l’Euro ». Avant elle, Nicolas Dupont-Aignan assénait déjà : « quitter l’Euro est une condition du plein emploi ». A gauche, Jean-Luc Mélenchon, soucieux de faire oublier qu’il vota sans ciller le traité de Maastricht[1], vaticine aujourd’hui : « l'Euro des banquiers et des usuriers n'est plus viable », cependant que le petit Mouvement républicain et citoyen (MRC) propose de « substituer à une monnaie unique trop rigide une monnaie commune réservée aux transactions extérieures ». Voilà un consensus de fait susceptible de faire blêmir tous ceux qui craignent un 21-Avril à l’envers, à l’endroit, oblique, en biais ou de guingois. 

     

    Au succès de ces thèses eurosceptiques, rendu possible par la crise grecque et par sa contagion aux autres PIIGS[2], c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui, paradoxalement,  donne la meilleure explication : « la question de l'Euro n'est pas une question simplement monétaire, ni une question simplement économique, c'est une question identitaire » assurait-il la semaine dernière au forum économique de Davos. Comment admettre de manière plus explicite que la monnaie européenne est une « monnaie politique », avant d’être un instrument macroéconomique ? Lorsque le Président français martèle que « l'Euro c'est l'Europe et que l'Europe, c'est 60 ans de paix sur notre continent », il nous renvoie à la genèse de la construction Européenne à la sauce Monnet-Schuman : au début des années 1950, déjà, la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) avait pour objectif de créer des solidarités économiques suffisamment solides pour bouter définitivement le spectre de la guerre hors des frontières d’Europe de l’Ouest. Le négoce comme condition de la Pax Europa, en somme.

     

    Quant au postulat qui préluda à la création de l’Euro, il fut ou prou du même acabit : les nations, notamment l’allemande, portant en elles le germe de la guerre, il convenait de les neutraliser au plus tôt. Une dose réputée létale de supranational économico-monétaire devait parvenir à ficeler les Etats dans un entrelacs d’intérêts matériels de fait, et à « arracher les patries aux castes du militarisme », tant il est vrai « qu’un peu  d’internationalisme éloigne de la patrie ». Les socialistes, au pouvoir dans les années 1990, connaissaient mieux que quiconque ce mot célèbre de Jaurès. Ainsi, côté français, c’est bien en réaction à la réunification allemande que l’on plaida pour l’avènement d’une monnaie unique. La devise européenne à la sauce Mitterrand-Delors apparaissait comme un antidote préventif contre la rémanence des tentations pan-germaines. « A travers le projet d’union monétaire européenne, dès avant la réunification allemande, François Mitterrand déclarait déjà vouloir enlever à l’Allemagne son mark, ressort essentiel de sa puissance », se souvient Jean-Pierre Chevènement. Et de rappeler l’empressement des socialistes français à créer l’Euro, cependant que le chancelier Kohl s’ingéniait à différer l’échéance.[3]

     

    Pour convaincre l’Allemagne d’abandonner son mark, il fallut donc lui donner des gages. A la politique du Franc fort succéda celle de l’Euromark, couvé par une Banque centrale européenne principalement soucieuse de lutter contre l’inflation, et dont les statuts ressemblent à s’y méprendre à ceux de la Bundesbank. Ainsi, malgré l’apophtegme relatif à « l’Euro protecteur » que s’entête à nous servir une poignée d’eurolâtres, il faut bien admettre que la monnaie unique a surtout protégé nos voisins d’outre-Rhin, que leur modèle économique immunise déjà contre les affres de la surévaluation. Bien connue, l’une des explications de ce phénomène réside dans la compétitivité des produits allemands qui se niche dans leur qualité plus que dans leur prix. Avec un effort de recherche et développement supérieur à celui de ses partenaires européens, l’Allemagne dispose d’avantages comparatifs dans certains domaines (machines-outils, biens d’équipement, voitures haut de gamme) qu’une surévaluation de l’Euro de 10 à 20% par rapport au dollar ne parvient pas à entamer. Mais la qualité du « made in Germany » n’explique pas tout. L’Allemagne lutte elle aussi contre l’enchérissement de ses produits généré par l’Euro fort, en pratiquant une politique systématique de « déflation compétitive », c'est-à-dire de gel des salaires, permise par cette discipline collective et cette cogestion syndicale qui fondent le « capitalisme rhénan » cher à Michel Albert[4]. Enfin, la République fédérale bénéficie des bas coûts de production des pays de la Mitteleuropa, où elle délocalise la fabrication de ses composants pour n’en conserver que l’assemblage. La question de la pérennité des performances actuelles de l’économie germanique mérite cependant d’être posée : l’Allemagne, dont la zone Euro représente 40% des débouchés, peut-elle sortir indemne du tourbillon crisogène qui s’abat tour à tour sur chacun ses voisins ? Ne devra-t-elle pas elle-même opter, comme l’envisage Jacques Sapir, entre « sortir de son modèle ou sortir de la zone Euro » ?

     

    Car l’effet domino de la crise du printemps 2010 semble inévitable, si l’on admet un  vice de construction initial : la zone Euro est loin d’être optimale. Selon Christian Saint-Étienne, observateur averti des prodromes de « la fin de l’Euro »[5], une zone économique optimale (c'est-à-dire apte à partager la même monnaie), possède trois caractéristiques : elle suppose la mobilité des facteurs de production (capital et travail). Elle induit l’existence d’un budget fédéral propre de corriger les inégalités territoriales. Enfin, elle nécessite une convergence macro-économique des pays qui la composent. Rien de tel au sein de la zone Euro. Outre la grande diversité des modèles économiques qui prévalent en son sein, le marché du travail y reste très cloisonné, la mobilité des salariés étant largement découragée par l’étanchéité des barrières linguistiques. Quant au budget commun, il ne dépasse pas 1% du PIB Européen, et son augmentation ne semble guère d’actualité, tant les finances publiques des pays contributeurs sont désormais dégradées. Or en l’absence de politique budgétaire apte à corriger le manque de cohérence de la zone, les économies nationales semblent appelées à diverger voire à entrer en concurrence, dans un retournement de l’Histoire propre à endommager sévèrement l’irénisme monétaire des eurobéats.

     

    D’ores et déjà, les effets bénéfiques de l’Euro disparaissent sous la litanie des inconvénients : les taux d’intérêt bas dont ont d’abord bénéficié les pays de la zone les ont conduit à s’endetter à l’excès. En Grèce et en Italie, la dette publique dépasse 110% du PIB. Quant au déficit public, il est supérieur à 10% en Grèce, en Espagne, en Irlande. En France, la dette représente 80% du PIB, et le déficit public tutoie les 8%, cependant que la croissance est en panne, exceptée celle du taux de chômage.

     

    Surévaluation plombant les exportations, compression des salaires et de la croissance, chômage endémique, encouragement au surendettement et aux bulles…Un ancien ministre de gauche, considérant sans doute la difficulté politique de cette décision, disait récemment « la sortie de l’Euro…y penser toujours, n’en parler jamais »[6]. Au regard des contre-performances affligeantes que nous donne à voir cette expérience monétaire au-delà du réel, on serait tenté de lui répondre : la sortie de l’Euro…y penser toujours, en parler souvent, commencer maintenant !

     

     

    Coralie Delaume

     



    [1] C’était à l’époque où il faisait le « larbin » du parti socialiste. Un peu comme David Pujadas fait aujourd’hui le « larbin » du pouvoir, des riches et des puissants.

    [2] Les PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) correspondent aux « pays du Club Med » plus l’Irlande. Gros consommateurs d’agrumes et d’huile d’olive, ils passent leur temps à défier la patience des agences de notation.

    [3] Jean-Pierre Chevènement, La France est-elle finie ? Fayard, janvier 2011.

    [4] Michel Albert, Capitalisme contre capitalisme, Seuil, 1991.

    [5] Christian Saint-Etienne, La fin de l’Euro, Bourin éditeur, 2009.

    [6] Le nom de cet ancien ministre sera pudiquement tu : il ne faudrait pas que d’aucuns s’avisent qu’il n’a pas fait qu’y penser, mais qu’il en a aussi parlé.

     


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    Un officier et un officier-marinier en décembre. Un soldat début janvier. S’il se trouve toujours quelques archéo-réacs pour nourrir dans leur petto, une secrète admiration pour l’armée française et sa capacité désuète à promouvoir par le mérite, il est moins habituel de rencontrer des laudateurs du théâtre d’opérations afghan, et de son étonnante aptitude à réaliser « l’égalité réelle » : en fauchant large, il en donne à chacun pour son grade.

    L’affaire afghane était pourtant bien partie : lancée après les attentats du 11-Septembre, l’opération américaine « Enduring Freedom » s’engageait sous les auspices de la légitime défense, à la plus grande satisfaction de la « Communauté internationale », qui gratifiait les Etats-Unis de démonstrations unanimes de solidarité outragée, et de la résolution 1368 du Conseil de Sécurité de Nations Unies. A la première escarmouche, Al-Qaïda et ses alliés talibans se débandaient et fuyaient sans gloire vers des cieux plus cléments, qui en catimini, qui en cyclomoteur.

    Ainsi, peut-être l’objectif initial d’éradication définitive de l’hydre jihadiste eut-il peut-être pu être atteint, si l’effort avait été constant et dirigé vers ce seul but. Les troupes de l’ISAF (1) seraient déjà rentrées chez elles, et nos soldats auraient regagné leurs foyers, non sans nous avoir gratifiés d’une  Mili Pride au pas cadencé sur l’avenue des Champs-Elysées.

    Mais la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires qui pourraient la gagner. Le choix fut donc fait, en 2003, d’ouvrir un second front en Irak. Dès lors, une partie de l’effort de guerre de la coalition se trouvait inexorablement distraite du théâtre afghan, rendant impossible la consolidation des premiers succès. La société irakienne, déjà mise à genoux par un embargo sans fin, implosait et devenait poreuse au prosélytisme rageur de l’internationale jihadiste. Al-Qaïda, qui se voyait offrir là une seconde jeunesse, trouvait matière à accréditer la très huntingtonienne idée d’un acharnement des « judéo-croisés » contre le dar al-islam. Ben Laden adoubait Abou Moussab al-Zarquaoui comme « imam d’Al-Qaïda en Mésopotamie » et lui donnait carte blanche pour mener quelques décapitations et autres ratonnades anti-chiites, cependant que lui-même se concentrait sur le recrutement de candidats à l’auto-meurtre pour perpétrer les attentats de Madrid (11 mars 2004) et de Londres (5 juillet 2005).

    En ce début d’année, Nicolas Sarkozy estimait dans ses vœux aux Armées que « la construction de la paix (en Afghanistan) résulte d’une action dans la durée. Elle exige de la patience ». A l’inverse, le ministre fédéral des Affaires étrangères Guido Westerwelle en visite à Kaboul vient de confirmer la volonté allemande de « transférer la responsabilité de la sécurité à l’échelle régionale » dans le courant 2011. A ce rythme, on peut se demander si la Coalition du Bien ne se résumera pas bientôt aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à la Pologne et à la France.

    Pour quelles raisons nos dirigeants s’obstinent-il dans une chimère contre-insurectionnelle dont les souvenirs conjoints de la cuvette de Dien-Bien-Phu et des maquis algériens devraient pourtant les avoir guéri ? Pour mettre enfin la main sur Ben Laden et son chargé de communication Zawahiri ? Tout porte à croire que le siège d’Al-Qaïda se situe désormais au Wasiristan pakistanais. Pour éviter la reconstitution putative d’un sanctuaire jihadiste en cas de reconquête du pouvoir par les Talibans ? Utilisons nos moyens de surveillance et nos barbouzes pour prévenir la réalisation de ce fâcheux oracle. Pour exporter la démocratie ? Marchons sur la Birmanie. Pour les droits de l’homme ? Usons de notre devoir kouchnérien d’ingérence humanitaire et ruons-nous tout à la fois sur la Corée du Nord et sur le Zimbabwe. Pour ceux de la femme ? Libérer les femmes afghanes de leur masque intégral n’est pas forcément plus urgent que de garantir le respect de l’ordre public chez nous. Au moins les afghans ne s’embarrassent-ils pas avec des affaires de burqa au volant : entre voir et conduire, ils ont su choisir.

    « La solution doit être régionale et non militaire » disait le ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki, avant de se faire démissionner par Ahmadinejad en décembre. Il n’avait pas forcément tort si l’on admet que le charbonnier est maître chez soi, et aussi un peu chez son étranger proche. A cette aune, il apparaît urgent de passer d’une stratégie de contre-guérilla dont on a perdu de vue les véritables objectifs à une politique de sécurité régionale autonome. Il faut inviter les pays frontaliers de l’Afghanistan à prendre en main leur destinée commune. En particulier le Pakistan, auquel le chouchou de nos instituts de sondages Dominique Strauss-Kahn serait bien inspiré de verser enfin la totalité du prêt qu’a bien voulu lui consentir le FMI en 2008. Peut-être ce pays se résoudrait-il alors à cesser d’externaliser une partie de sa sécurité à ses « bons talibans ». L’Inde, également, car une détente au Cachemire est un préalable indispensable à la réaffectation exclusive des moyens militaires pakistanais à la lutte contre le terrorisme. Et même l’Iran qui soutint longtemps l’alliance du Nord du commandant Massoud, quand bien même l’inénarrable revue « la Règle du Jeu » nous informe du haut de ses vingt printemps que Sakineh n’a toujours pas été libérée (2).

    Quant à la France, qu’elle amorce son retrait, car nous ne pouvons gagner cette guerre. Loin de conquérir « les cœurs et les esprits » (3) notre présence sur place contribue à faire éclore des moissons de vocations talibanes. Croire qu’il est possible de vaincre là où les Lions du Panchir ont perdu relève d’une immodestie coupable.

    Cinquante-trois soldats français ont été tués en Afghanistan, dans un combat ingagnable. Comme aurait dit Brassens, on les a envoyés « mourir plus haut qu’leur cul ».

    Coralie Delaume

    1. Ou FIAS (force internationale d’assistance à la sécurité). Aux ordres du général David Petraeus, elle fut d’abord commandée par le général Stanley McChrystal. Celui-ci fut démissionné par le président Obama pour avoir lésé la majesté d’icelui dans un entretien indélicat au magasine Rolling Stone.
    2. En revanche, « la Règle du Jeu » propose à ses lecteurs d’envoyer une lettre à Sakineh. Cette offre n’est valable que pour les gens qui écrivent parfaitement le farsi. 
    3. C’est beau comme du Daniel Pennac, mais en fait c’est du général McChrystal plagiant McNamara.

     

     


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